INTERVIEW Kaëlig Boché- Ténor, promotion 23/24

Actuellement en répétition dans la production de Carmen à l'Opéra de Toulon, le ténor Kaëlig Boché revient sur son parcours et ses aspirations. Artiste aux multiples facettes, découvrez notamment son travail autour du répertoire breton et son engagement auprès du Chœur d’Enfants de Bretagne.

Kaëlig Boché - Musée Gustave Moreau
Génération Opéra — 

Peux-tu te présenter et nous expliquer ton parcours ?

Kaëlig Boché — 

Je m’appelle  Kaëlig  Boché, je suis originaire de Rennes. J’ai  découvert le chant à l’âge de 9 ans lors d’un concert de Noël du Chœur d’Enfants de Bretagne, j’ai été tout de suite fasciné de voir tous ces enfants chanter ensemble.  Alors à l’époque, j’ai demandé à mes parents de m’y inscrire. Ils m’ont d’abord présenté à la Maîtrise de Bretagne, une chorale implantée au Conservatoire de Rennes, mais je n’avais pas été pris à l’audition ! C’était extrêmement sélectif et mon envie de chanter n’avait pas été suffisante à l’époque. Alors, j’ai intégré le Chœur d’Enfants de Bretagne dirigé à l’époque par l’abbé Jean Ruault. J’y ai grandi sur le plan musical, mais aussi  sur le plan humain car j’ai eu la chance de voyager en troupe, de rencontrer d’autres chœurs et de participer à de très nombreux projets avec cette seconde famille ! Cette aventure a assurément marqué ma jeunesse.
Après la mue, l’organiste Cécile Colin-Paris qui nous accompagnait  réguliérement m’a conseillé de me diriger vers le conservatoire afin de suivre des cours particuliers. J’ai ainsi intégré la classe de Martine Surais-Deschamps à 16 ans et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser vraiment à l’art lyrique. Comme j’avais un trac monstre en public, elle me conseilla de passer un maximum d’auditions pour m’exercer. Je me suis donc présenté à tout juste 18 ans aux auditions du chœur Mélisme(s) de l’Opéra de Rennes, et j’ai été retenu !
Ces premières expériences à l’Opéra de Rennes sous la direction de Gildas Pungier m’ont définitivement convaincu de suivre ce chemin. J’étais alors étudiant en gestion des entreprises et des administrations à l’université et ai décidé une fois mon diplôme en poche d’aller poursuivre et intensifier mes études de chant à Paris.
J’ai été reçu au Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs de Paris au sein du CRR dont la formation me semblait idéale pour mon profil. Ils proposaient à la fois un parcours en ensemble vocal et un parcours de jeune soliste. Une fois à Paris j’ai énormément appris en me rendant à des concerts et en côtoyant des camarades passionnés. J’y ai fait des rencontres merveilleuses mais je n’étais pas à l’aise avec ma voix et n’ai pas tout de suite trouvé un professeur qui puisse vraiment m’aider techniquement (je sais que des jeunes chanteurs vont se reconnaitre dans ces mots et je veux leur dire de vraiment persévérer et pousser toutes les portes s’ils sentent au fond d’eux une profonde envie de chanter.)
J’ai tenté l’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse de Paris où j’avais pu assister à plusieurs cours en auditeurs libre, j’ai finalement intégré le CNSM en 2014. Cela m'a permis de vivre des années incroyables grâce à des professeurs d’une qualité exceptionnelle. J’ai fait la rencontre d’Elène Golgevit qui est devenue ma professeure et à qui je dois tant car elle m’accompagne dans mes accomplissements comme dans mes moments de doutes et c’est pour moi très précieux. Je veux aussi nommer Charlotte Bonneu, Frédéric Rubay ainsi que Sabine Vatin, Anne Le Bozec et Vincent Vittoz ! Je suis profondément conscient et reconnaissant de la chance que j'ai de les avoir autour de moi. 
Pour finir avec mon parcours, j’ai obtenu mon master avec les honneurs (comme on dit) et j'ai ensuite démarré ma carrière grâce à une belle collaboration avec RSB Artists qui est mon équipe et qui croit en moi depuis bien avant ma sortie d’études. Étant de nature plutôt active, j’ai refondé avec des amis de toujours, le chœur d’enfants de Bretagne pour offrir cette chance à mon tour aux jeunes de chez nous. Parallélement, j'ai obtenu un Diplôme d’Artistes Interprète au CNSM. J’ai eu la chance d’obtenir les Révélations de l’Adami en 2017 ainsi que plusieurs prix dans des concours d’opéras et de mélodies  (Toulouse, Mâcon, Marseille, Marmande). J'ai intégré le Studio de L’Opéra de Lyon, l’Académie Orsay-Royaumont avec Jeanne Vallée, l’académie de la Fondation des Treilles, la Bourse Menda de l’Opéra-Comique, une bourse d’excellence de la Fondation l’Or du Rhin et le Fellows Sylff Award de la Tokyo Foundation en 2022... Et aujourd’hui, je suis extrêmement heureux de pouvoir intégrer la nouvelle promotion de Génération Opéra avec des artistes que j’adore et admire, c’est un accompagnement précieux après les années de pandémie dont nous avons tous souffert.  

Quel est ton premier souvenir d'Opéra ?

Je crois que le premier opéra que j’ai vu était Il Mondo della Luna de Haydn à Rennes en 2007 ! Je me souviens de l’aspect aérien et féérique donné par des ballons gonflés à l’hélium et des drapés de tissus. Mais surtout de l’humour, de l’inventivité sur le plateau et du "théâtre dans le théâtre" qui nous était donné à voir. Il me semble que les personnages se costumaient en scène pour jouer cette grande farce à Buonafede, j’avais été très intéressé de voir jouer cet aperçu « comme en coulisses » ! (Clin d’œil de la vie, c’est aussi cet opéra que nous avions donné au CNSM lors de ma dernière année.)   

Peux-tu revenir sur une production marquante / un moment fort dans ton parcours ?  

Des moments forts on en traverse beaucoup, chaque projet apporte tant de choses différentes. Souvent artistiquement c’est certain, mais ce qui me touche le plus c'est quand nous avons l'occasion de faire de véritables rencontres humaines. C’est un métier en dehors de l’ordinaire et je m’en rends compte tous les jours. C’est un métier exigeant où la constance est de mise tout en s’adaptant à de nouvelles données et c’est ce que je trouve fascinant. On passe par beaucoup d’états et d’étapes, c’est passionnant ! Et, pour que cela puisse se dérouler au mieux, il faut des équipes qui soient également extra-ordinaires et j’ai la chance d’en avoir déjà rencontrer beaucoup. Ainsi, je peux vous citer l’esprit de troupe magnifique que m’a offert Le Voyage dans la Lune la saison dernière qui m’a soudé avec les habilleuses - j’avais un record de changements de costumes qui  nécessitait effectivement une coordination sans faille avec mon habilleuse - mais aussi les acrobates-danseurs et bien sûr les chef.fe.s et chanteurs ; sur l’Isola d’Alcina à Schwetzingen, Leverkusen et Oldenburg où l’alchimie avec le casting international avait été parfait mais aussi sur ma première Carmen à Dijon ; ou bien encore le Fervaal au Festival de Radio France avec pas moins de 13 rôles secondaires masculins pour une joute chantée vraiment épique face à Michael Spyres ! Une belle ambiance !! Parmi tant de souvenirs marquants (et bien d’autres) je ne saurais pas vraiment comment choisir finalement...

 Quel serait le rôle de tes rêves dans les prochaines années ?  

Il y en a deux sans hésiter : Tamino et le Chevalier de la Force !  J’ai déjà pu chanter le rôle de Tamino à Mâcon grâce au Concours des Symphonies d’Automne où j’avais reçu le 2ème Prix Opéra et le Prix des Lycéens. Ils avaient ensuite programmé une Flûte Enchantée avec d’anciens lauréats. Je sens que c’est le moment idéal dans l’évolution de ma voix après mon tout récent Gomatz cette année que j’ai adoré apprendre à façonner.
Quant aux Dialogues des Carmélites, c’est une oeuvre qui me bouleverse. La relation qu'éclaire le personnage du frère de Blanche m’a toujours interloqué. La prosodie de Poulenc me parle depuis toujours, je chante ses mélodies constamment. D’ailleurs je chante le magnifique duo des Dialogues dès que les programmes de récitals me le permettent, j'ai déjà eu le plaisir de pouvoir donner la réplique à Marianne Croux, Harmonie Deschamps et Hélène Carpentier dans ce dernier. Et puis, je sens que le répertoire français pourrait être un atout pour ma voix !

Peux-tu nous parler de tes prochains projets ? 

J’ai terminé récemment notre Zaïde de Mozart qui nous a mené de Rennes à Besançon en passant par Nantes et Quimper. C'était une aventure magnifique et toute particulière pour moi du fait d’abord de revenir en terres bretonnes auprès de mes proches mais aussi par les thématiques humanistes de cette œuvre qui sont éternellement d’actualité.
Actuellement, je suis à l’Opéra de Toulon pour une nouvelle Carmen de Bizet où je retrouve avec beaucoup de joie le rôle du Remendado et un casting magnifique. Ensuite j’enchaînerai avec la production des Huguenots à l’Opéra de Marseille que j’attends avec impatience pour tout un tas de raisons : le casting, la mise en scène, la scène de l’Opéra de Marseille et bien sûr : l’œuvre ! 

Kaëlig Boché, Zaïde, Opéra de Rennes

Quelles sont tes dernières découvertes culturelles ? 

Vaste sujet vraiment. Je viens de lire  La Honte de Annie Ernaux, ça m’a fait l’effet d’une introspection-transposée. Vous savez quand quelqu’un vous raconte une histoire qui n’est pas du tout la vôtre et qui pourtant résonne en vous incroyablement. J’ai adoré ce que cela m’a provoqué !
En musique, j’en ai vraiment beaucoup à commencer par les répertoires de la Bretagne qui m’animent depuis quelques années et dont les découvertes sont chaque fois un émerveillement. Évidemment, mon dernier coup de cœur absolu sont les Bilitis de Rita Strohl que j’ai mis en projet d’enregistrement avec mes merveilleuses amies Marianne Croux et Anne Bertin-Hugault tant j’étais stupéfait et frustré qu’une telle œuvre n’ai pas eu d’enregistrement digne de ce nom avant ! Aujourd’hui je me réjouis des nouveaux échos et de la réception que l’œuvre complète de Rita Strohl rencontre.

Nous avons pu écouter quelques enregistrements de tes mélodies bretonnes, peux-tu nous expliquer la genèse de ce projet ? As-tu d’autres projets en cours autour de cette thématique ?  

Ce grand projet est la convergence de plusieurs points importants de mes dernières années. Lorsque j’étais étudiant au CNSM de Paris, je me suis intéressé à plusieurs répertoires oubliés : que ce soient les mélodies de Jean Cartan ou œuvres de Jacques de la Presle avec mon duo Thomas Tacquet ou encore la redécouverte de compositrices, sans que ce soit pour autant un but défini. Un jour je me suis demandé si je connaissais des oeuvres et des compositeurs bretons. Alors j’ai pu répondre Ropartz, Ladmirault et Le Flem, et c’était tout. Plus tard, je préparai un atelier de théâtre lyrique pour Vincent Vittoz   où nous devions monter une scénette de 10 minutes, j’avais pour ma part choisi de travailler sur la maladie d’Alzheimer chez les jeunes adultes et je cherchais une chanson qui puisse illustrer mon personnage de jeune marin  précocement atteint de cette maladie, bref ! Vincent m’a alors indiqué une œuvre que je ne connaissais pas : La Mauvaise Prière (popularisée par la chanteuse Damia il y a quelques temps). Et surprise, je découvris qu’elle fut composée par Louis Aubert né à Paramé (Saint-Malo) ! Mon questionnement précédent s’est alors réactivé et j’ai doucement commencé à faire d'autres recherches. Je me suis replongé dans les disques de l’Orchestre de Bretagne puis dans quelques partitions de mélodies grâce à Anne Le Bozec, j’ai décidé un an après mon master de présenter un parcours supplémentaire en DAI - Diplôme d’Artiste Interprète au CNSM sur ce sujet pour poursuivre mes recherches mais surtout, pour mettre en projet l’interprétation de ces musiques. Et puisque je suis plutôt à l’aise pour monter des projets lorsqu'ils me passionnent, j’ai proposé à mon association en Bretagne de mettre en place un programme de valorisation de ce patrimoine plutôt méconnu en associant nos petits chanteurs locaux et de jeunes talents professionnels selon les répertoires et les projets ! 

Tu es investi auprès du Chœur d’Enfants de Bretagne peux-tu nous dire quelques mots sur cet ensemble ?

Je suis effectivement très investi à Rennes et Vannes auprès des jeunes puisque j’ai refondé avec trois de mes plus chers amis, Le Chœur d’Enfants de Bretagne. C'est un Chœur à qui je dois mon envie première de chanter, de voyager et de découvrir ce qui nous entoure et qui avait hélas complètement disparu. Nous sommes convaincus que chacun doit pouvoir trouver un endroit comme celui-là, où aucun préalable n’est requis si ce n’est l’envie ! (Je pense qu’en lisant mon parcours personnel on comprend aisément pourquoi cette idée). Mais pour pouvoir proposer cela, je dois bien admettre qu’il faut être convaincus, combattifs et persévérants. Ainsi tout au long de l'année, je coordonne bénévolement, les projets, les recherches de partenariats et financement pour nos jeunes. Cela m’offre une joie difficilement exprimable quand je les entends chanter et que je peux les voir s’épanouir. 

Nous avons défini en 2020 pendant la pandémie un programme pour le Choeur basé sur plusieurs objectifs :
- Récolter les œuvres
- Faire que les nouvelles générations connaissent aussi bien les répertoires de chez eux que le répertoire classique
- Faire vivre ces répertoires oubliés auprès du public en les interprétant en concert mais également en offrant des enregistrements inédits ou trop rares.
- Donner l’envie à d’autres de programmer ces œuvres qui ravissent le public qu’il soit connaisseur ou parfaitement néophyte ! 

Pour identifier et présenter nos réalisations nous avons créé une plateforme numérique gratuite : www.kanadenn.com. Ainsi, nous avons déjà réussi de beaux projets. Parmi eux, un concert capté de présentation de 20 Mélodies Françaises de Bretagne enregistré à l’Opéra de Rennes avec 3 duos chant-piano, un disque et une captation vidéo des Douze Chants de Bilitis de Rita Strohl avec Marianne Croux et Anne Bertin-Hugault, un pré-CD de Noël du Chœur d’Enfants de Bretagne « Kanom Nouel » qui préfigure un disque complet à venir pour Noël 2023 avec des chants collectés et harmonisés issus de pays bretons et en résonance avec des traditionnels français et provençaux plus connus. Enfin, nous avons un très beau projet en cours autour des compositeurs baroques de la Cathédrale de Vannes, mais je ne peux en dire plus pour le moment. 
Ces projets sont un vrai plus en parallèle de mon début de carrière à l’opéra, j’en discute souvent avec mes collègues et cela me permet de trouver de nouvelles sources d’inspirations, de nouveaux projets ou partenariats. J’ai grand plaisir d’être à l’initiative de cela tout en étant en carrière. 
Pour terminer avec un magnifique exemple : l’Opéra de Rennes a invité nos petits chanteurs du Chœur d’Enfants de Bretagne à venir assister à la représentation de Zaïde de Mozart où j’incarnais Gomatz. Pour beaucoup d’entre eux, c’était la toute première fois qu’il découvrait un opéra, et le fait de me connaître personnellement dans un autre cadre, les a instantanément rapprochés de notre art en le rendant un peu plus familier ! Une belle démonstration de ce que l’on peut obtenir grâce aux engagements des institutions, des artistes et des actions de médiations si précieuses ! Merci à eux !