Pour cette première "actu des adhérents", Frédéric Roels, directeur de l'Opéra Grand Avignon revient sur la production d'Une flûte enchantée - Le Souffle de la paix, opéra participatif présenté en janvier 2024.
Vous avez programmé dans le cadre de votre saison 2023/2024, Une flûte enchantée - Le souffle de la paix, un opéra participatif mis en scène par Caroline Leboutte
Une flûte enchantée s’inscrit dans la lignée des opéras participatifs que nous avons adoptés depuis plusieurs années. C’est l’Aslico en Italie qui a inventé ce modèle en 1996, et il s’est répandu ensuite dans différents pays (Belgique, France, Allemagne, Autriche).
Lorsque j’étais à Rouen, j’ai déjà collaboré très régulièrement avec l’Aslico sur ce type de projet, et j’ai évidemment poursuivi cette collaboration lorsque je suis arrivé à Avignon. Nous sommes coproducteurs avec l’Aslico de ce spectacle, et nous allons poursuivre complicité sur d’autres projets dans les prochaines saisons.
Une flûte enchantée a été créé en février 2022 à Como, puis a tourné dans tout le nord de l’Italie avec près de 100 représentations, il est ensuite allé au Festival de Bregenz en Autriche dans une version allemande, puis enfin chez nous en version française. L’opéra de Mozart est évidemment une œuvre très porteuse et universelle, idéale pour ce type de format.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la mise en scène de Caroline Leboutte ?
La Flûte enchantée est un opéra très connu, où l’on retrouve des archétypes qui sont extrêmement populaires (la Reine de la Nuit avec ses vocalises jusqu’au contre-fa, le truculent personnage de Papageno). Il n’en reste pas moins que c’est un piège au niveau de la dramaturgie, et que c’est une œuvre qui, quelle que soit la direction que l’on prend pour la lire, est pleine de zones de mystère et de propos parfois choquants pour une oreille du XXIème siècle, notamment sur les femmes.
Caroline Leboutte en a fait une lecture vraiment intéressante, où le parcours des héros (Tamino, Pamina) de l’ombre vers la lumière n’est pas interprétée comme un chemin initiatique qui va de l’ignorance à la raison, mais comme un parcours dans un monde où deux forces antagonistes se font la guerre (la Reine de la Nuit et Sarastro) : ni l’un ni l’autre n’est bon ou mauvais, ils sont juste en conflit. L’amour des deux jeunes gens qui constitue l’issue de ce parcours est un message de paix. C’est une vision tout à fait actuelle et qui résonne fort par rapport à ce que nous voyons dans les médias en ce moment. Les propos misogynes ne sont pas édulcorés, mais ils sont plutôt mis en perspective avec une sacrée dose d’humour.
L’opéra participatif tel que nous le pratiquons – pour mémoire, c’est un opéra « normal » avec des chanteurs, des décors et costumes, un orchestre en fosse, mais qui implique une participation chantée du public depuis la salle – est un projet fédérateur et multi-générationnel.
J’ai toujours été très attentif à ne pas stygmatiser le jeune public dans une catégorie de programmation qui serait moins ambitieuse artistiquement et avec une économie au rabais. Je propose plutôt des spectacles « en famille » où les adultes et les enfants sont considérés de la même manière et où l’exigence artistique reste élevée. Par la participation chantée à la représentation, le public s’engage activement : il doit se préparer avant de venir au spectacle, étudier les chants, participer éventuellement à des ateliers. Tout ceci fait qu’il ne vient pas en simple consommateur d’un produit culturel, mais en acteur participant, avec ses moyens et à son échelle, au projet qui rassemble dans un même lieu des artistes professionnels et un public.
C’est en principe le cas dans toute forme de spectacle vivant : par essence, un spectacle vivant regroupe en un même lieu et en un même temps des gens qui partagent un moment unique, qu’ils soient sur scène où dans la salle, et l’un sans l’autre ne serait rien. Mais ici, c’est affirmé, assumé, et vécu avec une intensité physique indéniable.
Comment se sont déroulées les représentations, quelles étaient les réactions du public ?
De manière extrêmement positive. J’en étais même surpris. J’étais dans la salle pour plusieurs représentations, et j’entendais une vraie qualité de réponse : ça chantait juste et avec enthousiasme.
D’année en année le public est de plus en plus investi. Sans doute la notoriété de La Flûte enchantée a-t-elle aidé à ce que le public ait envie de jouer le jeu à fond. Il faut aussi souligner la qualité de la préparation assurée par mes équipes, dont je suis fier. Avec les représentations scolaires et les deux représentations tout public, nous avons touché plus de 3700 spectateurs, ce qui, dans une ville de la taille d’Avignon, est un chiffre considérable ! C’est 2% de la population de l’agglomération !
Un travail important a été réalisé pour toucher un large public, pouvez-vous revenir sur l’importance porté sur l’accessibilité de ce spectacle ? Comme cela c’est traduit dans les ateliers de médiation autour du spectacle, et dans la mise en scène elle-même ?
Ce spectacle a été lauréat de l’appel à projet « Next Stage » lancé par Fedora, l’association européenne des mécènes d’opéra et de ballet : avec notre projet « Sensory Theatre », nous avons pu grâce à ce prix financer un développement du projet à destination des publics freinés par une déficience sensorielle (visuelle ou auditive).
Un des chants participatifs était interprété par les chanteurs et par tout le public en langue des signes, nous avons fait des maquettes tactiles des décors et des costumes, des visites sensorielles du dispositif pour les personnes malvoyantes ou non-voyantes, une audio-description du spectacle, des livrets adaptés aux différents handicaps…
C’est un atelier de personnes avec des déficiences qui a réalisé la maquette du décor qui était exposée pour tout le public. Il s’agissait non seulement de rendre accessible le spectacle aux personnes souffrant de déficiences visuelles ou auditives, mais aussi de sensibiliser le grand public à ces questions. L’Opéra joue par là son rôle de rassembleur citoyen, sans distinction sociale ni de capacité.